Comme tout jeune de 18 ans fraîchement majeur, j’ai désiré passé l’examen d’obtention du permis de conduire de la catégorie « B » histoire de sillonner les rues du Grand Casablanca et de ne plus avoir à prendre de taxis. Mais pour ce faire, on m’a fait endurer tant de supplices qu’à un moment, je me suis pris pour un forçat.
Tout d’abord, suite à la nouvelle réforme du Code de la route, il m’a fallu patienter à peu près 4 mois depuis la remise de mon dossier à la direction régionale du ministère de l’Équipement et du Transport. Pendant ce temps, je n’ai cessé de faire des va-et-vient réguliers à l’école de conduite en vue me préparer à l’examen.
Rendez-vous m’a été donné le 13 juin, soit un lundi à 7h30. Etant ponctuel, je suis arrivé à l’heure convenue croyant que les portes de l’administration s’ouvriraient à 8h. Il y avait déjà toute une cohorte de citoyens, tous âges confondus, venus tout comme moi en finir avec cette accablante épreuve. Ce n’est qu’aux environs de 9h qu’un fonctionnaire a daigné entreprendre de faire l’appel en fonction des listes dont il disposait pour que les portes se referment à nouveau. Cet acte s’est répété 5 fois devenant ainsi un rituel à mes yeux. Ce n’est qu’au quatrième coup, vers 10h45, que j’ai pu enfin investir le bâtiment. Il s’agissait d’un édifice datant sans doute du temps du protectorat puisqu’ayant une architecture française. À le voir dans un état délabré et en déshérence, j’ai dû prononcer la chahada à mesure que je montais ses innombrables marches. Arrivé au premier étage, une femme de ménage nous a ordonné d’entrer dans une pièce non moins lugubre. Défense d’utiliser son téléphone ou d’engager une quelconque conversation. Il ne manquait plus qu’à interdire la respiration. Enfin, cerise sur le gâteau, il fallait supporter, que nous le voulions ou non, le crissement des chaises lorsque quelqu’un se permettait de bouger.
Après quelques minutes d’attente, on m’a demandé de me rendre dans une autre pièce afin de prendre la photo qui figurerait sur le permis de conduire pour ensuite regagner ma place. Je ne vous dis pas de quelle humeur étaient les fonctionnaires. Ils cherchaient des prises de bec. On aurait crû être à leur merci ! Suite à quelques minutes encore de patience après m’être redirigé vers ma place, nous sommes enfin entrés à salle d’examen. Je pouvais enfin me réjouir parce que l’égalité des chances était présente et que l’endroit était bondé de caméras. Toutefois, il était nécessaire de s’équiper de coton-tiges pour mener à bien le choix des réponses étant donné la mauvaise qualité de l’écran tactile. Ayant réussi l’épreuve de mémorisation du code de la route, je devais passer à la pratique.
Arrivé au circuit et juste avant de prendre le volant en main, mon moniteur a ouvert la porte du véhicule, a fait semblant de me donner quelques derniers petits conseils, m’a demandé expressément de lui filer 300 dirhams qu’il remettrait aux examinateurs et m’a déclaré qu’autrement je ne pourrais m’introduire dans le circuit ou que tout au plus, on inventerait une erreur que je n’aurais pas commise pour me faire descendre du véhicule. Ce n’est qu’après lui avoir remis ladite somme que je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un pot-de-vin. Honte à moi. Je me suis couvert d’opprobre. Mon Dieu ! Moi qui ai toujours refusé de soudoyer dans quelque situation que ce soit, voilà qu’on me tourne en bourrique et je me retrouve en train de corrompre !
Ayant réussi l’examen pratique, il me restait le tour d’honneur avant de pouvoir jubiler de mon attestation. Sauf qu’avant d’accéder à la file d’attente, le moniteur m’a demandé où était sa « part du gâteau ». N’ayant pas pu me maîtriser, je me suis laissé emporter et lui ai répondu d’un ton virulent. Quand même, le piège qu’on m’a tendu me suffisait largement, il n’était pas besoin d’en rajouter un autre encore !
À l’issue de cette frénétique et épouvantable journée, j’ai retenu que lorsque vous essayez d’être intègres et refusez de pervertir aussi bien votre moniteur que vos examinateurs pour obtenir votre permis de conduire, vous passez pour des malfaiteurs. Les rôles s’inversent. Mon Dieu, que ce pays foisonne de gangrène !
Si vous espérez un de ces jours avoir votre permis de conduire, préparez-vous dès maintenant moralement et psychologiquement à subir les mêmes tourments que moi, à vous morfondre durant de longues heures. Armez-vous de patience et de ténacité, ne graissez aucune patte et, surtout, munissez-vous d’un parapluie durant les longues heures d’attente. Une simple casquette ne saurait vous protéger d’une insolation.