Fatna, 52ans, mère de trois enfants est venue me voir dans le cabinet Injab, démarche lente, traits tirés et tête baissée. La jellaba et foulard ont perdu leurs couleurs d’origine confirment pour ceux qui ne voient plus les autres, l’extrême pauvreté de cette femme.
Fatna, a un mari malade d’un cancer du colon avec une stomie permanente (poche), l’aîné de ses trois enfants qui travaille un peu, vient de se faire agresser avec fracture de la mâchoire. Il devait payer 1500 DH à l’hôpital puisqu’il n’a ni assurance maladie, ni RAMED (couverture pour les démunis). Quand à Fatna qui a élevé ses enfants en faisant de longues heures de ménage, ne peut plus continuer parce qu’elle a eu une sclérodermie œdémateuse, une maladie du système qui lui a gonflé les mains occasionnant ainsi qu’un handicap permanent. Elle qui bénéficie de cette couverture doit suivre un trainement mensuel qui coûte vers les 1000 DH. Et ce sont des personnes de bonne volonté qui chaque mois essaient de lui trouver l’argent à cet effet.
Fatna n’est pas venue me voir pour tous ces maux, mais pour un problème gynécologique. Ménopausée, elle a ressaigné, le médecin du centre de santé l’a adressée au centre Lalla Salma de Sidi Othmane à Casablanca, parce qu’il suspectait un cancer. La gynécologue E.M. qui travaille dans le centre l’examine, sans réaliser de biopsie, lui indique qu’il lui faudrait une échographie et que ceci devrai être fait dans un cabinet privé, le coût est de 300 DH. Le temps de mendier cet argent, la gynécologue la retrouve au cabinet d’un confrère deux jours plus tard pour lui faire l’écho, ensuite elle lui dit qu’il y a un fibrome dans le col qu’il faudra le retirer au laser dans une clinique privée, coût de l’opération 4500 DH.
Je ne savais pas que cette technique bien connue dans les hôpitaux du royaume pour dévier les malades vers le privé et leur soutirer de l’argent est utilisé également dans les centres anti cancéreux gratuits et plus portent le nom de la princesse Lalla Salma épouse du Roi. Centres qu’on présente aux marocains, à coup de spot publicitaires comme bien équipés et qui sont là pour le diagnostic précoce et l’accompagnement des cancéreux.
En écoutant cette histoire, ordonnances à la main, j’ai senti monter en moi, une colère et une injustice. Comment on est arrivé à cette insensibilité face aux souffrances des autres ? Et comment on peut marchander la santé sans craindre ni punition, ni sanction et ni ridicule. Quant à nos rapports sélectifs avec Dieu, je préfère ne pas en parler.
A tous ceux qui ont affiché récemment ‘’ Non à la fitna ‘’ suite au broyage d’un citoyen à Al Hoceima dans un camion-poubelle, avez-vous vu une fitna pire que celle-ci? Celle de sucer le sang des misérables et profiter de leur faiblisse et leur ignorance ? C’est la mobilisation et la lutte contre les injustices qui pourront épargner aux marocains cette fitna redoutée, parce que l’élite politique et sociale non seulement s’est habituée à cette injustice, pire elle l’aide avec son silence et son comportement irresponsable. En dénonçant publiquement ce genre de médecins, je ne fais que mon travail de citoyen. L’esprit de corps ne m’intéresse pas, d’autant plus que ce corps est malade. Je me suis toujours battu contre les injustices de par le monde et je continuerai à le faire. Profiter de la faiblesse et l’ignorance des malades est une des injustices les plus insupportables.
J’ai opéré cette femme en réglant les frais de la clinique et je prie pour qu’on ne détecte pas de cancer au prélèvement que j’ai effectué. Parce que ceci demandera une prise en charge multidisciplinaire et les prises de rendez- vous au CHU sont longs et mal organisés.Sans parler du coût et de l’accueil. Faire de la communication c’est bien, être efficace c’est mieux. C’est pour cela que tout changement commence par le refus des injustices et de l’action concrète en faveur de nos semblables…
#changer